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"Discours sur l'excellence des femmes" par Marguerite de Valois

ou Discours docte & subtil dicté promptement par la reine Marguerite
(1614)


Texte établi par Eliane Viennot

Notes et introductions dans les éditions suivantes :

Marguerite de Valois, Mémoires et autres écrits, 1574-1614. Paris, H. Champion, 1998

• Marguerite de Valois, Mémoires et discours. Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005

 

Le texte ci-dessous est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité-Pas d’Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France

 

Au Révérend Père Loryot, jésuite

Mon Père, l’heur m’ayant été si grand, lorsqu’il vous plut me bailler votre beau livre, de m’être rencontrée en quelqu’une de vos conceptions aux raisons que vous apportez sur la question Pourquoi la femme est plus propre à la dévotion que l’homme?, et maintenant, sans sortir du sujet qui est propre à ma faible connaissance (comme fit le cordonnier duquel le peintre se moqua quand il le voulut reprendre d’autre chose que de son soulier), ains [mais] m’appuyant sur ce commun dire que chacun doit être savant en son propre fait, j’oserai, ayant lu tous les chapitres que vous faites sur cette question, savoir: Pourquoi l’homme rend tant d’honneur à la femme?, vous dire que, poussée de quelque ambition pour l’honneur et la gloire de mon sexe, je ne puis supporter le mépris où vous le mettez, [en] voulant qu’il soit honoré de l’homme pour son infirmité et faiblesse. Vous me pardonnerez si je vous dis que l’infirmité et faiblesse n’engendrent point l’honneur, mais le mépris et la pitié; et qu’il y a bien plus d’apparence que les femmes soient honorées des hommes par leurs excellences – espérant, par les raisons qui suivent, vous prouver que, non par l’infirmité mais par l’excellence de la femme, l’homme lui rend honneur.

I - Dieu procède par tel ordre en ses œuvres qu’il fait les premières les moindres, et les dernières les plus excellentes, les plus parfaites et les plus dignes, comme il a montré en la création du monde, faisant l’homme le dernier, pour lequel il avait fait toutes les créatures. Dont [D’où] il faut avouer que, la femme étant encore faite après l’homme et comme dernière création de Dieu, que l’excellence et suprême degré de dignité lui doi[ven]t être attribué[s], ainsi que les plus grandes perfections sont en elle, étant formée comme l’homme des mains de Dieu, mais d’une matière d’autant plus élaborée que la côte de l’homme surpasse la fange en degré d’excellence.

II - L’on voit la Nature procéder en embryon de même sorte: formant premièrement le corps humain, elle commence par les organes de la végétable, puis de la sensitive, et pour le dernier de la raisonnable, qui est le degré de perfection autant élevé au dessus de la sensitive que celle-ci surpasse la végétable. Aristote tient ce même ordre aux biens et aux fins, disant que la dernière fin est toujours la plus excellente.

III - Et faut avouer que, là où les organes sont composés d’une matière plus délicate et excellente, qu’ils seront au préalable mieux proportionnés, comme il se voit extérieurement au visage et au corps de la femme, tant délicate, d’où il faut inférer l’intérieur semblablement être plus délicatement et mieux organisé pour les fonctions de l’âme. Et par conséquent, l’âme de la femme sera plus propre à faire des plus belles actions que celle de l’homme fait de fange, matière rude et sale et grossière, qui le doit rendre plus grossier et lourd en toutes ses actions, tant de l’esprit que du corps.

IV - Ceci convia les hommes, au commencement qu’ils s’assemblèrent, de rejeter la première élection qu’ils avaient faite des plus forts de corps pour les gouverner et défendre des bêtes sauvages, pour se faire régir par les plus beaux esprits, plus capables de raison, justice et équité, qui les feraient plus heureusement vivre. En quoi la femme excellant, comme la dernière et plus parfaite œuvre de Dieu, et l’homme le connaissant, [il] se reconnut obligé à lui rendre ce grand honneur, et presque l’adorer, comme plus sainte et plus vive image de la divinité, et en qui reluit plus de ses grâces. Par quoi, il ne faut plus dire le monde avoir été fait pour l’homme, et l’homme pour Dieu, mais il faut dire le monde avoir été fait pour l’homme, et l’homme pour la femme, et la femme pour Dieu.

V - Dieu a toujours voulu que ses sacrificateurs fussent bien accomplis et que ses offrandes se choisissent des choses les plus excellentes et parfaites, comme vous voyez en l’ancienne Loi avoir été ordonné, aux sacrifices, de n’être offertes à Dieu aucunes victimes viciées ou imparfaites. De sorte que, le plus parfait étant le plus agréable à Dieu, nous pouvons clairement inférer que la femme a cet avantage sur l’homme. Car si c’est pour le corps, c’est chose trop connue que celui de la femme est trop [très] plus beau, plus délicat et mieux élaboré que celui de l’homme; et si c’est pour l’âme, Dieu se plaît aux esprits tranquilles, reposés, dévots et tels que celui de la femme, non aux esprits tumultueux et sanguinaires comme et celui de l’homme: n’ayant voulu, pour cette cause, que David, homme de guerre, fît son temple, mais Salomon, qui fut paisible, et qui en la douceur de ses humeurs approchait de fort près du naturel de la femme.

VI - Partant, puisqu’elle surpasse l’homme en toute sorte d’excellence, de perfection et de dignité, et que toutes choses se rapportent au plus excellent, plus parfait et plus digne comme sa dernière fin, il faut dire la femme avoir été faite comme chef de toute la création du monde et son dernier œuvre, [elle] qui possède le Transcendant de toutes choses créées en plus pur et parfait degré. Et par conséquent, elle est une digne offrande pour être présentée à Dieu et pour être plus capable de lui rendre grâces de toutes celles qu’il a épandues en la Nature et sur toute sa création.

VII - Et tout ainsi qu’il n’y a rien en la Nature si digne d’être dit être fait pour Dieu que la femme, aussi, toutes choses en la Nature étant sous elle (et l’homme même), elles ne peuvent être dites faites que pour la femme, [elle] ne pouvant, sans se rabaisser et faire tort à sa dignité, se dire faite pour autre que pour Dieu.

VIII - Que si on la dit être déchue de l’excellence de sa création par la menace que Dieu lui fit pour le péché de la pomme (disant en courroux et par punition qu’elle serait assujettie à son mari), cela montre qu’auparavant, elle lui était supérieure. Et pour ce juste courroux, il ne la priva de l’excellence de son être, l’ayant choisie pour mère de Dieu, honneur auquel le sexe de l’homme n’est point parvenu. Par quoi encore, il doit honneur et soumission à la femme, comme à la mère de son Dieu.

Ces raisons, écrites par une femme, ne peuvent pas avoir beaucoup de force. Mais si elles étaient si heureuses d’être adoptées de vous, et comme telles dépouillées de mon rude et grossier [rustique] langage pour être revêtues et parées des fleurs de votre éloquence, et mises au pied d’un de vos chapitres de ce sujet, comme vôtres, je crois que notre sexe en recevrait un immortel honneur, pour lui être par un auteur si célèbre comme [que] vous attribuée telle dignité. Ce que je [re]mettrai à votre discrétion, et vous priant que j’aie part en vos bonnes prières, je demeurerai, de toute votre compagnie et de vous,

Votre très affectionnée amie,

Marguerite

 

 Dernière fille de Catherine de Médicis et d’Henri II, celle qui fut brièvement « reine de France et de Navarre » avant de mourir « Reine Marguerite » (1553-1615) n’a guère laissé indifférente sa postérité ni, avant elle, ses contemporains. L’actualité politique s’était chargée de placer au centre des conflits de la fin du XVIe siècle cette sœur des trois derniers Valois, catholique mariée au protestant qui allait devenir le premier Bourbon à monter sur le trône ; et de la ramener à Paris après le « démariage » royal. Elle y était morte vénérée, entourée d’une cour de savants, d’écrivains et de femmes de lettres, avant de trouver une célébrité posthume liée au best-seller que furent ses Mémoires, parus en 1628. Et elle allait, transformée en personnage de fiction dès la fin du XVIIe siècle, devenir un véritable mythe sous le nom de « Reine Margot », par la grâce d’Alexandre Dumas père.

Ce n’est toutefois que depuis une vingtaine d’années que cette princesse hors du commun, longtemps enrôlée malgré elle dans différentes controverses du débat public français, et surtout longtemps confondue avec le personnage du grand romancier, est redevenue un sujet d’étude. Quelques thèses, un colloque et une centaine de nouveaux articles lui ont été consacrés ; ses écrits ont fait l’objet d’une édition critique (dont un volume de correspondance contenant près de 150 pièces inédites) ; ses Mémoires ont été récemment traduits en russe et redonnés en anglais ; un site Internet lui est dédié depuis 2010. Marguerite de Valois est cependant loin de bénéficier de toute l’attention qu’elle mériterait, tant de la part des historiens que des philosophes, des littéraires et des historiens de l’art. Des pans entiers de son existence, de son influence, de son mécénat, de ses relations demeurent mal connus, et elle se voit régulièrement reprise dans la légende frelatée qui lui sert de notoriété depuis le milieu du XIXe siècle.

Depuis le quadri centenaire de sa mort, nous pouvons plus clairement redécouvrir les différentes facettes de Marguerite de Valois en pensant:
  • à la femme politique, associée à différentes paix (Sens, Nérac, Fleix…), engagée dans diverses alliances (avec le duc d’Anjou et roi de Pologne ; avec son époux ; avec son frère cadet) ; partie prenante dans le complot des Malcontents ; combattante pour son propre chef dans la dernière guerre civile ; ralliée à Henri IV ; engagée en faveur de Marie de Médicis…
  • à la « femme d’affaire », négociant les échanges de sa dot, gérant ses terres et ses revenus, négociant son « divorce », récupérant le comté d’Auvergne, discutant de ses pensions, léguant ses biens…
  • à la croyante : catholique tolérante, partisane de la Contre-Réforme, fondatrice, protectrice, contestataire…
  • à la philosophe, partisane du néoplatonisme dans son mécénat comme dans ses écrits, lectrice de textes hermétiques ;
  • à la « patronne des lettres et des arts » de ses différentes cours, commanditaire d’œuvres, de traductions, de bâtiments ; organisatrice de concerts, de représentations théâtrales ; à l’origine de recueils de poésie, d’œuvres écrites à plusieurs mains…
  • à la femme « privée », fille, sœur, épouse, amante, amie, mentor… aimée, utilisée, malmenée…
  • à l’autrice des Mémoires, de la Déclaration du roi de Navarre, du Discours sur l’excellence des femmes, des poésies, des lettres ;
  • à l’inspiratrice de chroniqueurs, de pamphlétaires, d’historiens, de romanciers, de poètes, de dra­maturges, de librettistes, de cinéastes…
  • à la femme objet de fantasmes, ou saisie dans des controverses nationales : comme « Valois-Médicis », témoin de la Saint-Barthélemy, femme politique, opposante à la Couronne, croyante, femme savante, « femme libre »…

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